Dans la tanière du tigre

Le site littéraire de Nicolas Idier

 

Lectures

 

La clef de Ré

Au lendemain de cette fête de l’Ascension dont plus personne ne saurait dire au juste ce qu’il s’est passé ce jour-là, je vais au cimetière d’Ars-en-Ré déposer une rose jaune sur la stèle érigée en souvenir de Philippe Sollers. J’emploie évidemment le mot stèle à dessein. L’île de Ré traverse l’œuvre de Sollers, parce qu’elle traverse sa vie. Celui pour qui vivre et écrire ne formaient qu’un seul et unique tout, habite là – ou plutôt Ré – depuis sa naissance, dans la maison familiale du Martray. Sollers écrivait, à la main, noyé dans l’encre bleue et le chant des oiseaux, dans une annexe où il avait aménagé son bureau. C’est d’ici même qu’il m’avait appelé pour m’annoncer qu’il publierait un manuscrit que je lui avais confié et qui serait La musique des pierres, publié dans sa collection L’Infini en 2010. « C’est dans le village d’Ars en Ré que je serai enterré, près du carré des aviateurs anglais, australiens et néo-zélandais, tombés ici pendant la Seconde Guerre Mondiale. Ils ont 22, 23 ans, ils sont pilotes ou mitrailleurs. Personne n’a réclamé leur corps. Ce voisinage me plaît. » (Un vrai roman) Me voilà donc dans ce petit cimetière, avec mes deux enfants soudain très graves, une rose jaune cueillie le matin-même, presque sauvage, gorgée de soleil, alanguie et qui, immédiatement, dialogue avec la rose du médaillon de marbre. La sépulture est encombrée de couronnes, avec les hommages des plus hautes autorités du pays, ce qui me semble contradictoire avec la méfiance vis-à-vis de la mort et de son décorum qu’avait plus d’une fois exprimée Sollers. Comment leur en vouloir ? D’ici quelques semaines, la tombe sera éclaircie.

Sollers Ars en Ré

L’art de la fugue

Pendant ce temps, Bruno Le Maire s’installe à la troisième place du sondage Ifop-Fiducial des personnalités politiques les plus appréciées des Français, derrière – ce qui laissera certains songeurs – Edouard Philippe et Nicolas Sarkozy. Sans faire de politique, je constate que les Français ne détestent pas tant la littérature qu’on le prétend, avec un personnage digne du Comte de Monte-Cristo qui a dit : « celui seul qui a éprouvé l’extrême infortune est apte à ressentir l’extrême félicité », et un autre qui vient de publier une Fugue américaine. L’art de la fugue, dans les deux cas. Quant au premier, Edouard Philippe, là encore, un grand littéraire, ne l’oublions pas, lui qui a notamment écrit une ode à sa bibliothèque, sobrement intitulée Des hommes qui lisent. Tout en bas du classement, j'aperçois Eric Zemmour, qui n'a cependant jamais lésiné sur le nombre de feuillets à noircir. En 2027, la bataille sera sans doute plus romanesque que les plateaux d’information en continu, qu'il convient de regarder le son coupé pour comprendre le grand cirque du spectacle, semblent le penser. Sollers, encore lui, nous prévient au sujet du ministre de l'Economie et des Finances : « Je crois qu’il est unique. Il ne ressemble absolument en rien de ce qui est en train de se passer dans la dégradation continue de l’animalité politique. Et je trouve stupéfiant qu’il soit toujours là en train de courir en politique alors que son vrai génie est ailleurs comme je l’ai prouvé en publiant ce livre étonnant qui s’appelle Musique absolue. » Les quelques personnes qui ne seraient pas tout à fait amnésiques se rappelleront peut-être que Sollers avait lui-même intitulé Fugues le quatrième tome de sa grande entreprise encyclopédique amorcée avec La Guerre du Goût, puis Eloge de l'infini et Discours Parfait 

 

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Aube de printemps

Retour à Ré, avec Meng Haoran, qui nous adresse en direct du VIIIème siècle ces quelques vers :

Le sommeil au printemps ignore l’aurore,

Bien que partout s’entende le chant des oiseaux.

Dans la nuit la tempête a soufflé fort,

Sait-on combien de fleurs sont tombées ?

 

Sait-on combien de fleurs sont tombées ? - est une question d'une profondeur stupéfiante à se poser chaque matin. 

 

 fugues

21 mai 2023