LECTURES
La clef de Ré
Au lendemain de cette fête de l’Ascension dont plus personne ne saurait dire au juste ce qu’il s’est passé ce jour-là, je vais au cimetière d’Ars-en-Ré déposer une rose jaune sur la stèle érigée en souvenir de Philippe Sollers. J’emploie évidemment le mot stèle à dessein. L’île de Ré traverse l’œuvre de Sollers, parce qu’elle traverse sa vie. Celui pour qui vivre et écrire ne formaient qu’un seul et unique tout, habite là – ou plutôt Ré – depuis sa naissance, dans la maison familiale du Martray. Sollers écrivait, à la main, noyé dans l’encre bleue et le chant des oiseaux, dans une annexe où il avait aménagé son bureau. C’est d’ici même qu’il m’avait appelé pour m’annoncer qu’il publierait un manuscrit que je lui avais confié et qui serait La musique des pierres, publié dans sa collection L’Infini en 2010. « C’est dans le village d’Ars en Ré que je serai enterré, près du carré des aviateurs anglais, australiens et néo-zélandais, tombés ici pendant la Seconde Guerre Mondiale. Ils ont 22, 23 ans, ils sont pilotes ou mitrailleurs. Personne n’a réclamé leur corps. Ce voisinage me plaît. » (Un vrai roman) Me voilà donc dans ce petit cimetière, avec mes deux enfants soudain très graves, une rose jaune cueillie le matin-même, presque sauvage, gorgée de soleil, alanguie et qui, immédiatement, dialogue avec la rose du médaillon de marbre. La sépulture est encombrée de couronnes, avec les hommages des plus hautes autorités du pays, ce qui me semble contradictoire avec la méfiance vis-à-vis de la mort et de son décorum qu’avait plus d’une fois exprimée Sollers. Comment leur en vouloir ? D’ici quelques semaines, la tombe sera éclaircie.
Pourtant je m'élève
Maya Angelou
L'Étoile Sollers
Nous étions liés par la Chine.
Lui, l'ancien directeur de la revue Tel Quel qui découvre
en 1974 les grottes de Longmen et "la disposition du
corps chinois par rapport au langage et à l'écrit". Moi,
l’étudiant en thèse sur Simon Leys avec lequel il s'était
finalement réconcilié. Il m'avait montré, si joyeux, une
reproduction d'une peinture de Shitao qu'il gardait sous la main. Des pivoines. Il fut l’éditeur de mon deuxième roman : La musique des pierres. C’est lui qui accepta, à quelques heures de l’envoi à l’imprimeur, d’apposer sur la couverture beige de sa collection L’Infini, aux éditions Gallimard, le titre chinois calligraphié au pinceau par Liu Dan.
Philippe Sollers a rejoint l’Etoile des Amants. Lui, l’anglophile passionné, a choisi la nuit d’avant le Couronnement. Ce voyageur du temps a rejoint son Paradis la nuit même de Vesak, pleine lune du mois de mai, où le Bouddha atteint l’Illumination. Illuminations, qu’il n’a jamais cessé de lire, nous offre cette fleur que je dépose aujourd’hui avec une tristesse infinie :
« La main d’un maître anime le clavecin des prés. »