Camille Pascal et Nicolas Idier
D'un trait de plume

Par Julien Martin
Publié le 11/09/2024

Nicolas Idier et Camille Pascal le 4 septembre dans les locaux du Nouvel Obs. Photo Terence Bikoumou

Ils écrivaient les discours de Jean Castex à Matignon. En cette rentrée littéraire,
ils publient chacun un roman. Reconstitution de ligue dissoute dans nos locaux.

Lorsqu’ils sont devenus les plumes de Jean Castex, à l’été 2020, Camille Pascal et Nicolas Idier ne se connaissaient pas, mais ils ont appris à s’apprécier sous les ors pas toujours si dorés de la République. Le premier était déjà connu du Landerneau politique pour avoir rédigé les discours de Nicolas Sarkozy, avant d’embrasser une carrière de romancier historique. Le second n’avait pas d’expérience du pouvoir, mais comptait plusieurs romans autobiographiques à son actif. En cette rentrée littéraire, Camille Pascal revisite l’affaire du collier de Marie-Antoinette dans « la Reine du labyrinthe » (Robert Laffont), et Nicolas Idier raconte « Matignon la nuit » (Plon) dans une fable onirique sur fond de démission arrosée au saké. L’occasion de les réunir à nouveau pour parler techniques d’écriture, romanesque et politique.

Un bon romancier fait-il nécessairement une bonne plume politique ?

Camille Pascal J’ai été plume avant d’être romancier. L’écriture politique, école de la rigueur et de la rapidité, m’a beaucoup appris. La commande d’un discours est toujours pour la veille, donc il ne peut y avoir d’angoisse de la page blanche. Nombre d’écrivains expliquent que l’écriture est une souffrance, qu’ils ont besoin de tout un rituel, mais, et c'est formidable, une plume n'a pas le temps pour de telles considérations.

Nicolas Idier À la différence de Camille, j'arrive à Matignon de manière naïve, mais je comprends vite, malgré l'étrange présence dans mon bureau du portrait d'Alain Robbe-Grillet, pape du nouveau roman, que la première tâche d'un écrivain qui a le malheur de devenir plume, c'est d'arrêter d'être écrivain ! Rédiger un discours nécessite une très grande humilité: il n'est pas signé de notre nom, et mille autres personnes le modifient avant qu'il ne soit prononcé.

C. Pascal La fonction exige une forme de quiétisme, cette théologie du Grand Siècle qui voulait qu'on abolisse son moi de façon à se laisser habiter par Dieu. Une plume doit se laisser envahir par la pensée et la parole de celui pour lequel elle écrit. Mais c'est peut-être grâce à cela que de l'écriture politique, on accède à la littérature, parce qu'on fait la même chose avec nos personnages.

Existe-t-il des habitus communs entre l'écriture politique et l'écriture romanesque ?

C. Pascal Le discours est un exercice très particulier que je compare souvent à l'aria d'opéra: ce n'est que de la sensualité, tout sauf du rationnel. Vous devez accrocher un public, créer des montées et des chutes. Le corps-à-corps est plus immédiat avec l'auditeur qu'avec le lecteur, qui peut fermer un livre ennuyeux. Il est plus délicat de partir au beau milieu d'un discours du président de la République...

N. Idier Tout dépend de quelle phase de préparation du discours on parle. Il y a le produit fini et il y a tout ce qui précède. Il faut collecter en amont un foisonnement de faits, de statistiques, de prises de position, et essayer de leur donner du sens. En cela, les deux écritures sont assez similaires. De la même manière, un discours requiert de distiller une forme de suspense qu'on retrouve aussi dans la littérature.

C. Pascal Malheureusement, le monde politique est de plus en plus éloigné du culte de l'éloquence à la française. Tu le dis très bien dans ton livre, Nicolas, lorsqu'un des personnages réclame une suite de "bullet points", des idées sans lien entre elles. Quand on relit un discours de De Gaulle ou de Pompidou, on se dit qu'on est descendu de quelques marches. AUjourd'hui on a fonctionnarisé la plume, ce qui est symptomatique du macronisme. Elle peut écrire indifféremment pour des personnalités différentes.

Il n'est pas nécessaire d'être policier ou meurtrier pour écrire un polar, mais faut-il être macroniste pour rédiger un discours pour Emmanuel Macron ?


N. Idier On n'est pas obligé d'y adhérer exactement, mais il convient d'être à l'aise avec le mouvement d'idées pour lequel on travaille. Surtout, il faut croire dans le pouvoir des mots - même parfois un peu vain - d'améliorer, d'adoucir une situation.

C. Pascal
Devenir plume, c'est d'abord une rencontre avec celui qui nous confie sa parole. On entre dans une telle proximité avec lui qu'on suscite même la jalousie du reste du cabinet. Quand je me suis mis à écrire pour Nicolas Sarkozy, je me suis laissé gagner par son phrasé si particulier, ses formules, sa pensée. À tel point que lorsque ça s'est arrêté, c'était dépressif. C'est d'ailleurs à ce moment-là que je suis devenu écrivain, comme pour me reconstruire. Mais si je n'avais pas fréquenté le pouvoir au plus haut niveau, dans un système qui est encore monarchique, je ne pourrais pas être aussi libre de raconter l'Histoire comme je le fais dans mes livres.

N. Idier Je suis d'accord, on ne comprend réellement le pouvoir que lorsqu'on l'a expérimenté de l'intérieur. Je suis allé à Matignon pour découvrir des personnages et y vivre une vie romanesque.

Quand elles racontent leur expérience, les plumes se placent souvent au-dessus de la mêlée, comme plongées dans un monde auquel elles se gardent bien d'appartenir...


C. Pascal C'est la vérité ! On a des ambitions, mais un regard distant. On n'est pas dans l'écurie de ceux qui viennent de l'ENA et veulent devenir préfets, députés ou ministres. Le jeu du pouvoir, on sait que ce n'est qu'un jeu, alors que d'autres jouent leur peau.

N. Idier La guerre entre la politique et la littérature est très ancienne. Sans Thucydide, pas de Périclès. Sans littérature, la politique serait vite oubliée. Tous ces politiques qui rêvent d'écrire montrent bien que la seule noblesse qui compte, c'est celle de la littérature. Ils sont même prêts à publier un très mauvais livre pour exister un peu.

C. Pascal Au moment de la parution du livre de Nicolas, j'ai dit à nos anciens collègues: "C'est peut-être la seule chose qui restera de notre passage à Matignon."

Avez-vous envie de rester dans la fiction ou de replonger dans la réalité de la politique ?

C. Pascal Il ne faut jamais dire jamais, mais si mon téléphone sonne aujourd'hui, je dirai non.

N. Idier En ce qui me concerne, il n'y a pas de barrière absolue entre la fiction et le réel. Pour écrire, on a besoin d'expérience. Je n'ai rien contre le fait de travailler à nouveau dans le réel d'un pays qui change, d'autant que j'en tirerai probablement un livre à la fin !