Et si le passé
那么是否过去并非过去?
Une histoire de l'art chinois
李克曼的中国艺术史
n’était pas le passé ?
avec Simon Leys
Texte : Nicolas Idier
Traduction : Zhang Dongrui
撰文:易杰
翻译:张冬锐
Qu’un des plus grands, sinon le plus grand sinologue européen de langue française ait puisé son nom de plume dans un roman publié en 1922 par Victor Segalen, où le jeu des apparences n’est pas forcément trompeur, nous permet d’aborder une première énigme. Pierre Ryckmans, devenu Simon Leys, s’inscrit aussitôt dans une tradition lettrée, émaillée de noms de plume – ou plutôt, de pinceau. Ces noms d’artiste renseignent incidemment sur la pluralité d’un itinéraire de vie, parfois au détour d’une retraite monastique ou d’une épreuve politique, et sur la richesse des caractères, non sans humour. C’est ainsi que Zhu Ruoji (1642-1707), auquel le jeune étudiant belge consacra sa thèse de doctorat à l’appui d’une traduction savante des Propos sur la peinture 1, affirma sa liberté créative en jouant d’une trentaine de surnoms, du Moine Citrouille- amère au Vénérable aveugle, en passant par Vague de Pierre, Shi Tao. Chaque créateur a ses propres raisons de se choisir un autre nom que son nom de naissance. Dans le cas de Shitao, il s’agissait de survivre à la transition périlleuse entre la dynastie des Ming, à laquelle il était apparenté, et la dynastie mandchoue des Qing. En faisant sien le nom de Leys, Ryckmans proclamait le projet d’une vie : son identité belge avec une pointe d’autodérision, le patronage d’un écrivain – Victor Segalen – qui a donné à l’histoire de l’art classique chinois, notamment de la grande statuaire, ses lettres de noblesse dès le début du XXe siècle, et le chiffre secret d’un savoir conquis dans un monde inaccessible aux autres par l’étude patiente de la langue chinoise et une expérience vécue de l’intérieur. Cette nouvelle identité débordante de liberté ne diminua en rien la valeur académique de l’auteur, et nous n’aurons de cesse de rappeler que la qualité des ouvrages signés « Simon Leys » prend appui sur ce qui en garantit la pertinence : une approche de l’histoire de l’art chinois qui, aujourd’hui encore, frappe par sa contemporanéité.
Serait-ce à voir avec la mise en abîme de deux époques : la fin de l’Empire, au début du XXe siècle, vécue par Victor Segalen, et la Chine des dernières décennies du XXe siècle, dont Simon Leys fut le contemporain ? René Leÿs, héros du roman éponyme de Victor Segalen, est un jeune professeur de chinois aux accents mythomanes, qui prétend tout connaître de la très secrète Cour
de l’Empereur de Chine (et peut-être en connaissait-il réellement les secrets) qui « agit et raisonne maintenant en Chinois avec les Chinois ». Mieux encore, René Leÿs conceptualise un « aveu d’impénétrabilité » contre l’avènement de ce qu’il nomme le Royaume du Tiède, dont la pertinence s’applique à toute période d’uniformisation, que ce soit par la communiste ou par le globalisme : « Partons
1
Les propos sur la peinture
du Moine Citrouille-Amère de Shitao
Traduction et commentaire par Pierre Ryckmans
Paris, PLON, 2007
~~~~~~~~~
石涛《苦瓜和尚画语录》
李克曼 翻译、注释
巴黎,PLON出版社,2007年
1. Les Propos sur la peinture de Shitao, Pierre Ryckmans, Institut Belge des Hautes Etudes Chinoises (Bruxelles), 1970. Édition suivante et de référence titrée Les Propos sur la peinture du Moine Citrouille amère, Paris, Hermann, 1984, 261 pages.
2. La Forêt en feu, Essais sur la culture et la politique chinoises, Simon Leys, Hermann, Paris, 1983 (traduction anglaise titrée The Burning Forest: Essays on Chinese Culture and Politics, Rinehart, and Winston, Holt, 1986).
de cet aveu d’impénétrabilité. Ne nous flattons pas d’assimiler les mœurs, les races, les nations, les autres ; mais au contraire réjouissons-nous de ne le pouvoir jamais, nous réservant ainsi la perdurabilité du plaisir de sentir le Divers. »
Le choix de ce pseudonyme donne le ton à une aventure intellectuelle marquée par la volonté de mieux comprendre la Chine dans sa globalité, dans un mouvement de va-et-vient entre le classique et
le contemporain, sans jamais occulter la part de complexité attachée à une telle entreprise. Lisons ce qu’il en dit dans La forêt en feu 2, paru en 1983 :
Les fragments de vérité que nous pourchassons sont comme des papillons : en cherchant à les fixer, nous les tuons. « Sitôt que l’on a fini de dire quelque chose, ce n’est déjà plus vrai » a observé Thomas Merton. [...]
Dans les études chinoises classiques, la spécialisation est indispensable, mais elle est aussi impossible.
Elle est indispensable, car la richesse, l’étendue et la diversité du domaine chinois dépassent démesurément les moyens et la capacité d’assimilation d’une intelligence individuelle (et en particulier elles défient les débiles ressources du sinologue occidental qui, à la différence de son homo- logue chinois, n’a pas eu la chance de commencer son initiation dès la petite enfance et aborde donc généralement ces études avec quelque quinze ans de retard).
Mais en même temps, la spécialisation est impossible, car la Chine est une entité organique dont chaque élément ne peut vraiment s’éclairer qu’à la lumière de nombreux autres éléments quelquefois fort éloignés de celui que le chercheur considère, voire même dépourvus de connexion apparente avec lui. Faute d’être guidé par une intuition d’ensemble, le spécialiste demeure à jamais condamné au sort des aveugles dans la célèbre fable
2
René Leÿs
Victor Segalen
Paris, Georges Crès et Cie, 1922
Couverture illustrée par Georges-Daniel de Monfreid ~~~~~~~~~
《勒内·莱斯》,谢阁兰 著 巴黎,Georges Crès et Cie 出版,1922 年
封面由乔治-丹尼尔 · 德 · 蒙弗雷德绘制
了三十几个别名,从苦瓜和尚到石涛,再到瞎尊 者;而李克曼这位当时还是年轻比利时学生的 博士论文对石涛《画语录》的学术翻译起到了 重要作用。每个创作者选择本名之外的别名,都 有自己的理由。对石涛而言,使用别名是为了在 明清过渡的危机时期生存下来。李克曼斯通过 取“莱斯”之名,画出了自己的人生草图:从带 着几分自嘲的比利时身份,到以作家谢阁兰为 前辈 —— 谢阁兰从 20 世纪初起,为中国古典艺 术史,尤其是中国古代巨型雕像写下了崇高的 文字 —— 再到通过潜心学习中文和获取内在经 验,获得别人难以进入的这个世界的知识密码 这个充溢着自由的新身份,丝毫没有降低作者 的学术声望,我们始终会记得,署名“西蒙 · 莱 斯”的著作质量建立在捍卫其现实意义的方法 之上:一种即便在今天仍然具有当代性的、令人 难以置信的中国艺术史研究方法。
这是否与两个时代的鸿沟有关?一个是谢 阁兰所处的 20 世纪初帝国末期,一个是李克曼 所处的20世纪最后几十年的中国。勒内 · 莱斯 是谢阁兰同名小说的主人公,他是一位年轻的 中文教师,有谎语癖的倾向,他声称对中国皇 帝的深宫秘事了如指掌(也许他真的知道),他
“现在可以用中文同中国人一起做事、说理”。更 妙的是,《勒内 · 莱斯》构建出了一份“难以理 解的效忠书”,以反对他所称的“温驯王国”的 到来,其意义适用于任意一个统一时期,无论是 通过共产主义实现的统一,还是通过全球主义 实现的统一:“让我们从这份难以理解的效忠书 开始。我们不要以同化习俗、种族、民族和他者 为荣,相反,让我们庆幸我们永远无法做到这一 点,如此一来,我们便能保有感受多样性的永恒 快乐”。
选择这个笔名为他在中国的智识之旅奠定 了基调,他渴望全面了解中国,穿行于古今之间 并且从不忽视这项工作的复杂性。让我们读一 读他在1983年出版的《燃烧的森林》中对此的 论述:
我们追寻的真理碎片就像一只只蝴 蝶:在试图捉住它时,却杀死了它。正如托 马斯 · 默顿所言:“一旦人们说完了某件事 它的真实性便一去不返 ......”
在中国古典学研究中,专业性是必要 的,但也是无法实现的。它之所以必要,是 因为中国这一领域的丰富性、广泛性和多 样性极大超出了个体智慧能够掌握的方法 和吸收能力(尤其是西方汉学家还面临知识 薄弱的情况,不像他的中国同行能有幸在 年幼时就受到启蒙,他们的研究通常会晚 起步十五年左右)。
这样一来,专业化便不可能了。因为中 国是一个有架构的整体,其中每一个要素 都只能在众多其他要素明朗之后,才能真 正得到阐明,有时这些“其他要素”与研究 者当下所考虑的相去甚远,甚至缺乏清晰
bouddhiste : voulant savoir ce qu’était un éléphant, ils en palpèrent qui la trompe, qui la patte, qui la queue, et déduisirent respectivement que l’éléphant devait être une sorte de serpent, de colonne ou de balai.
Avant qu’elle ne devienne une Chine intérieure, telle « une région de l’esprit », il fallait au jeune homme la découvrir de l’intérieur. Tout comme le héros du roman de Segalen, Simon Leys a vécu quelques mois à Pékin en tant qu’attaché culturel de la toute nouvelle ambassade de Belgique en Chine, d’avril à octobre 1972. Il arpente jour après jour la ville en bicyclette, se nourrit de la vie qui régnait alors dans le vieux Pékin. La description qu’il donne de la ville témoigne d’une approche vivace du patrimoine : « si les remparts ont disparu, pensais-je, au moins l’essentiel subsiste : la glorieuse série de leurs Portes monumentales qui continuent à délimiter et organiser l’espace idéal de la cité ; même si le contour physique de celle-ci s’est trouvé gauchi et effacé, du moins les Portes demeurent, perpétuant sur la terre chinoise, à la façon d’un caractère d’écriture sur une pièce de soie ou sur la face d’une stèle, le signe de Pékin. » S’amorce dès lors une réflexion à la fois expérientielle et érudite du patrimoine chinois, comme autant de signes dont certains auraient été oblitérés, amorcée, provoquée par « la monumentale absence du passé » qui frappa Simon Leys dès le début des années soixante-dix.
Plus de dix ans plus tard, le 16 juillet 1986, Leys s’attaque de front à la question du passé dans une conférence à l’Université nationale d’Australie, à Canberra. Cette conférence, intitulée « L’attitude des Chinois à l’égard du passé », est reprise dans le quatrième et dernier volet du « quatuor » des Essais sur la Chine : L’humeur, l’honneur, l’horreur, publié en 19903 et qui vient clore la décennie quatre-vingt et une étude sans relâche de la Chine tant classique que contemporaine, marquée notamment la publication en 1989 d’une vingtaine de notices de l’Encyclopaedia Universalis sur les plus grands maîtres de l’histoire de l’art chinois. De la calligraphie, cet art de plus propre à la Chine, il écrivait : « La découverte d’un art inconnu devrait avoir des conséquences plus importantes pour l’humanité que l’exploration d’un continent vierge ou l’apparition d’une nouvelle planète. » 4 Cette nouvelle planète obéirait-elle à d’autres lois physiques, une gravité différente ?
La question posée est simple d’apparence, mais ses enjeux sont immenses : quelle relation les Chinois entretiennent-ils avec leur propre histoire et son héritage à la fois matériel et immatériel ? Au milieu du gué d’une politique culturelle inaugurée par Les causeries de Yan’an en 1942, et à l’orée d’une quête de l’hyper-modernité de la période de l’ouverture et des réformes, dont le moindre des paradoxes est de célébrer le culte de « Cinq mille ans d’histoire », le passé est-il le passé ?
De même que Victor Segalen, archéologue amateur, s’est montré immédiatement sensible à l’art de la grande statuaire et aux traces du passé dans le paysage chinois, Simon Leys, encyclopédiste de la peinture chinoise classique, a ressenti au plus profond de lui la prégnance d’un paradoxe au cœur même de la remarquable longévité culturelle chinoise : l’idéal d’une Chine éternelle se combine avec un iconoclasme plus ou moins affirmé à l’égard de l’héritage matériel du passé.
Dans les années quatre-vingt comme encore de nos jours, la présence du passé se manifeste avant tout grâce aux caractères d’écriture, mais aussi à
une multitude de faits culturels : « affiches de cinéma, réclames de machines à laver, d’appareils de télévision ou de pâtes de dentifrices qui couvrent les murs des rues sont rédigées dans une langue écrite qui est demeurée pratiquement inchangée depuis plus de deux mille ans ». Le paradoxe, souligné par Leys, est que « cette même Chine chargée de tant d’histoire et d’un tel point de souvenirs est aussi singulièrement dépourvue de monuments anciens. Le passé est physiquement absent du paysage chinois à un point qui peut déconcerter le voyageur occidental cultivé, surtout s’il aborde la Chine avec les critères que l’on adopte naturellement dans un entourage européen. »
的联系。如果没有整体直觉的引导,专业人 员就会永远陷入著名佛教预言“盲人摸象” 中盲人的命运:他们想知道大象是什么,于 是分别摸了摸它的鼻子、大腿和尾巴,然后 推断出大象应该是一种蛇、一根柱子或一 把刷子。的联系。如果没有整体直觉的引导,专业人 员就会永远陷入著名佛教预言“盲人摸象” 中盲人的命运:他们想知道大象是什么,于 是分别摸了摸它的鼻子、大腿和尾巴,然后 推断出大象应该是一种蛇、一根柱子或一 把刷子。
在中国成为一个“内在”的中国、一个“精 神之境”之前,这位年轻人必须从内部去发现它。 1972 年 4 月至 10 月,就像谢阁兰小说中的主人公 一样,李克曼作为比利时驻华使馆的文化专员 在北京生活了几个月。日复一日,他骑着自行车 环游北京城,沉浸在当时老北京的生活中。他 对这座城市的描述体现出他热衷于接近文化遗 产。“我想,即便城墙消失了,但至少根基还在: 那些宏伟光辉的城门继续界定和组织着想像中 的城市空间;即使北京城的物理轮廓变了形,或 被抹去了,但至少城门还在,它们会在中国的土 地上永存,就像丝绸上的文字或碑石上文字,它 们是北京的标志。”从那时起,一场关于中国文 化遗产的反思开始了,这种反思如同那些已部 分被抹掉的痕迹,既是经验性的,又是学识渊博 的;从20世纪70年代初起,李克曼就开始震惊 于“过去的严重缺席”,这也成为诱使他反思中 国文化遗产的原因之一。
十多年后,1986 年 7 月 16 日,李克曼在位于 堪培拉的澳大利亚国立大学的一次会议中,直
3
Simon Leys (Pierre Ryckmans)
~~~~~~~~~
李克曼
3. L’Humeur, l’Honneur, l’Horreur: Essais sur la culture et la politique chinoises, Simon Leys, Robert Laf- font, Paris, 1991.
4. « In principio era scriptum » in L’Ange et le Cachalot, Simon Leys, Seuil, Paris, 1998, 205 p. (traduction anglaise The Angel and the Octopus, Duffy and Snellgrove, Sydney, 1999).
À la différence de la Chine, les innombrables témoins architecturaux – ruines, palais, églises et cathédrales, voire même patrimoine rural – forment une chaîne ininterrompue qui perpétue la mémoire du passé au cœur même des villes européennes modernes, tandis que la Chine aurait dépassé la modernité avant même de l’avoir atteinte : non pas moderne, mais postmoderne ?
La thèse de Leys va très loin, qui considère que bien peu de monuments avaient survécu aux désastres du passé et que la Chine du XXe siècle était donc au préalable dépourvue de cet héritage matériel qui, ailleurs, contribue au sentiment de continuité de l’Histoire.
Pour autant, Leys remarque que les Chinois n’ont eu de cesse de cultiver une passion pour le passé, et non pas seulement pour les objets antiques, mais pour tous ses corollaires : le développement de l’archéologie, l’activité des collection- neurs et des antiquaires, l’industrie des faussaires ; et, en esthétique, les nom- breuses modes archaïsantes et la reproduction du passé à l’époque de sa repro- ductibilité technique, pourrions-nous dire en reprenant l’argument de Walter Benjamin. Le promeneur de Pékin, Shanghai, Canton et tant d’autres villes aujourd’hui vérifiera de lui-même la réalité de cette réinvention parfois un peu kitsch du passé.
Dans un élan proche du maniérisme, l’histoire de l’art chinois porte de nombreux témoignages de ce carambolage entre plusieurs époques. Leys prend pour exemple la mode impériale de la dynastie des Qing à transformer l’usage de pièces de jade datant du néolithique, mais la Chine du XXIe siècle offre de nombreux témoignages de ce passé plus ou moins réel inséré dans des usages contemporains, comme cette mode du prétendu « vêtement Han ». Simon Leys indique que ce recours à l’ancienneté avait notamment pour fonction de légi- timer les empereurs mandchous et de leur apporter la « sinité » qui leur faisait défaut. N’en irait-il pas de même avec cette réinvention contemporaine du passé qui fictionnalise le récit national ? Autre élément de réflexion, et piste diver- gente et néanmoins éclairante : le recours au passé et le retour aux sources anciennes, qui dans l’histoire de la pensée chinoise s’affirme dès le début des Song, relèverait également d’une angoisse existentielle. L’empire Song était, pour reprendre les mots de Leys, « un monde menacé », « un empire mutilé ».
La volonté d’affirmer une identité culturelle chinoise serait donc un symptôme d’une angoisse profonde, d’une perte de confiance en l’avenir.
Plutôt que l’avenir, le passé ? Dans sa conceptualisation du rapport des Chinois au passé, Simon Leys ne manque pas de remarquer que l’Antiquité désigne en réalité non pas seulement un âge d’or mythique, mais une « utopie future ».
C’est ici que revient l’un des inspirateurs de Simon Leys, celui à qui il doit son propre nom : Victor Segalen, dont le poème « Aux dix mille années » offre
à Leys le fondement de sa réflexion, avec une double articulation. D’une part : le passé loge dans les hommes plus que dans les pierres (« L’immuable n’habite pas vos murs, mais en vous, hommes lents, hommes continuels ») ; d’autre part : la démolition du patrimoine est inévitable et relève de l’offrande sacrificielle
(« Point de révolte : honorons les âges dans leurs chutes successives et le temps dans sa voracité »).
L’approche ne serait pas complète si nous oubliions cet « art de plus » qu’est la calligraphie, et qui n’est nullement comparable à la « belle écriture » des enlumineurs de l’Occident médiéval ou des graphistes arabes. En effet, Leys souligne que la calligraphie est en Chine une véritable institution sociale qui possède un ensemble d’idéaux propres, hérités du plus célèbre des calligraphes : Wang Xizhi. Nous n’en ferons pas l’inventaire, pour n’en retenir qu’un seul : la calligraphie est un art du vrai, en cela que le calligraphe est tout entier dans son trait.
面了过去这一问题。这次会议以“中国人对历 史的看法”为题,收录于他1990年出版的《论 中 国 : 性 格 、 荣 誉 、 恐 惧 》“ 四 部 曲 ” 的 最 后 一 部。1990年的到来给80年代画上了句号,也意 味着他对古典和当代中国孜孜不倦的研究的结 束,显著标志是1989年出版了《环球百科全书》 中二十多个关于中国艺术史上最伟大大师的条 目。关于书法——这一中国独有的最极致的艺 术 , 他 写 道 :“ 发 现 一 门 未 知 的 艺 术 , 对 人 类 的 影响应该比探索一块处女地,或一颗新行星的 出现更为重要”。这颗新行星会遵循其他的物理 定律、不同的引力规则吗 ?
他提出的问题看似简单,却关系重大:中国 人与自己的历史、自己的物质及非物质遗产是 什么关系?在1942年《在延安文艺座谈会上的 讲话》开创的文化政策之中,在对改革开放时 期那种超现代性的追寻即将开始之时,其中最 不矛盾的是颂扬对“五千年历史”的崇拜,那么, 过去还是过去吗 ?
正如业余考古学家谢阁兰对巨型雕像艺术 和中国山水画中过去的痕迹十分关照,中国古 典绘画百科全书式的研究者李克曼,也从内心 深处感受到了极度绵长的中国文化在核心处存 在的一种悖论:一个永恒中国的理想,与对来自 过去的物质遗产或多或少的圣像破坏主义倾向 同时并存。
20 世纪 80 年代和今天一样,过去的存在首 先通过文字得以体现,当然也是体现在大量文 化 事 实 中 :“ 贴 满 街 道 的 电 影 海 报 , 洗 衣 机 、 电 视、牙膏广告......这些都是用一种两千多年来 几乎没有变化的语言书写的。”李克曼强调的悖 论是:“这个充满历史和记忆的中国,却奇特地 缺乏古迹。过去,物质性在中国的景观中缺失着, 以至于西方的知识分子旅行者们会感到不安, 若他以在欧洲环境中自然会采用的标准来看待 中国,这种不安会尤其明显”。欧洲与中国不同, 废墟、宫殿、大小教堂,甚至乡村遗产,这些数 不清的建筑形成了一条不断的链条,在现代欧 洲城市的中心延续着对过去的记忆,而中国甚 至在到达现代性之前就已经超越了现代性,抑 或不是现代,而是后现代 ?李克曼的博士论文走 得更深远,他认为很少有古迹能够在过去的灾 难中幸存下来,因此,20世纪的中国被预先剥 夺了这种物质遗产,而在其他地方,这种物质遗 产有助于增强历史的连续感。
然而,李克曼同时又指出,中国人从未停止 过培育对过去的热情,除了对古代物品,还对与 之相关的一切:考古学的发展、收藏家和古董商 的业务、赝品制造业;以及在美学方面,正如瓦 尔特 · 本雅明所说,在这个技术可实现复制性的 时代,存在较强的仿古风尚和很多重现过去的 行为。如今,北京、上海、广州和其他许多城市 的漫步者,都会亲眼目睹这种有时略显媚俗的 对过去的重塑。
在类似矫饰主义的风潮下,中国艺术史为 这种不同时代间的碰撞提供了有力的见证。李
S’il ne l’est pas, sa calligraphie ne sera qu’artificielle et sans grand intérêt. Encore de nos jours, la calligraphie instruit le quotidien de la Chine,
de l’école primaire aux cours d’immeuble où se réunissent les personnes âgées. Les dirigeants de la Chine moderne, républicaine puis populaire, se sont tous pliés à cette pratique considérée comme fondement de l’identité chinoise, de Sun Yat-Sen à Mao Zedong. Or, le paradoxe est là, exprimé par le biographe du peintre et calligraphe Mi Fu, Lothar Ledderose5 : « Il semble assez inconfortablement symptomatique que ce soit cette calligraphie perdue du « Pavillon des Orchidées » qui ait fini par s’imposer comme l’œuvre la plus célèbre de toute l’histoire de la calligraphie chinoise... Ce qui est encore plus ahurissant, c’est que le « Pavillon des Orchidées » non seulement fut encensé, mais encore il devint un modèle stylistique : les calligraphes l’ont étudié pendant des siècles sans qu’aucun d’entre eux ait jamais vu l’original. » Plus incroyable encore, Guo Moruo affirma en 1965 que les copies Tang et Song des œuvres de Wang Xizhi par lesquelles se serait transmis le style de ce dernier ne seraient elles-mêmes pas crédibles. Cet « homme de talent doublé d’un voyou », comme le qualifiait Lu Xun, ne fut pas seulement un des acteurs de l’histoire contemporaine de la Chine, il fut également un passionné de son passé. Directeur de la revue de réfé- rence Archéologie, sa contribution la plus reconnue réside dans ses études, qui font toujours autorité, consacrées aux inscriptions anciennes sur os oraculaires et vases de bronze. Une telle affirmation concernant le « Pavillon des Orchidées » constituait donc un véritable tremblement de terre dans le domaine des études classiques. Elle revenait à dire, depuis le Vatican, qu’aucun des évangiles ne donnerait à entendre la parole du Christ.
La conclusion de Leys nous amène à notre propre conclusion : « la force
~4~
Autoportrait de Shitao
~~~~~~~~~
石涛自画像
克曼举例,清朝存在将新石器时代的玉器改头 换面的皇家风尚,而21世纪的中国又存在许多 将或真或假的过去用在当代的例子,比如汉服 时尚。李克曼指出,这种对古代的追溯曾经很大 程度上是为了使满族皇帝合法化,为他们赋予 他们所缺乏的“中国性”。这与当代对过去的重 塑、对民族叙事的虚构不是一样的吗?另一个 值得反思的要素,或者说一条虽存在分歧但仍 具有启发性的路径是:在中国思想史上,从宋代 开始就得到肯定的对过去的追索、对古代源头 的回归,也是生存焦虑的结果。用李克曼的话说, 宋帝国是“一个受到威胁的世界”、“一个残缺 不全的帝国”。因此,确认中国文化身份的愿望, 成为一种深度焦虑、对未来缺乏信心的症状。
与其关注未来,不如关注过去 ?在对中国与 其过去的关系进行概念化的过程中,李克曼并 没有忘记阐明,“古代”实际上不仅指神话般的 黄金时代,还指一个“未来的乌托邦”。
正是在这里,李克曼的灵感来源之一回归, 他的名字也归功于他:谢阁兰。谢阁兰的诗作 《致万年》以一种双重阐述,为李克曼提供了思 索的根基。一方面,过去更多存在于人而非石
头之中(“不变的事物并不寄居于你的墙壁之中, 而是存在于你之中,缓慢的人,不间断的人”); 另一方面,拆除遗产是不可避免的,并且是一种 献祭(“不要反抗:让我们尊重时代的不断衰落 和时间的贪得无厌”)。
如果我们忘记了书法这一“极致的艺术”, 那么我们的研究方法就不完整了,因为中国书 法与中世纪西方插图画家或阿拉伯平面艺术家 的“美丽文字 ”并不是一回事。实际上,李克曼 认为书法在中国是一种名副其实的社会制度, 有一套自己的社会理想,这套理想是从最著名 的书法家王羲之那里继承下来的。不一一列举, 我们只谈一点:书法是一门真实的艺术,书法家 完全投身一笔一画之中。如果他做不到如此,他 的书法就会矫揉造作,缺乏趣味。时至今日,在 中国,书法已成为日常生活的一部分,从小学到 老年活动中心。近代中国,先是民国时期,然后 是人民共和国时期,从孙中山到毛泽东,领导 人都将书法视为中国身份的基础。然而,悖论 仍然存在,书画家米芾的传记作者雷德侯将之 说 了 出 来 :“ 《 兰 亭 集 序 》 这 幅 失 传 的 书 法 作 品 , 最终成为整个中国书法史上最著名的作品,这 相当让人不安 ...... 更令人匪夷所思的是,《兰 亭集序》不仅受到赞誉,还成为一种风格典范: 几个世纪以来,书法家们一直在研究它,却从未 有 人 见 过 原 作 ”。 更 令 人 难 以 置 信 的 是 , 郭 沫 若 在1965年声称,王羲之的风格是通过唐宋摹本 流传下来的,但这些摹本并不可信。鲁迅称郭沫 若为“才子加流氓”,他不仅是中国当代史的积 极参与者之一,而且热衷于中国的过去。郭沫若 是参考性杂志《考古》的负责人,他最知名的贡 献在于对古代甲骨文和青铜器铭文的权威性研 究。关于《兰亭集序》这样的说法在古典研究领 域构成了一场名副其实的地震。这等于是在梵
vitale, la capacité quasi illimitée de métamorphose et d’adaptation dont la tradition chinoise a fait preuve depuis quelque trois mille cinq cents ans pro- viennent peut-être de ce que cette tradition ne s’est jamais laissé prendre au piège des choses, où elle aurait risqué de se pétrifier et de mourir ». Une diachro- nie est esquissée : la culture chinoise serait à la fois indestructible et périssable, détruite et immortelle. Le passé serait à la fois le passé, non pas le passé, jamais le passé et toujours le passé.
Un tel tournoiement face à un réel fuyant pourrait résonner de l’écho pré- occupé de La Mauvaise Herbe de Lu Xun que Leys traduisit en français en 19756 : « il me semble toujours que ce sont les ténèbres et le néant qui constituent la vraie réalité ; mais contre cette réalité, je m’obstine à opposer une résistance désespérée. » « Culture » ou « Civilisation » : le débat n’est pas spécifiquement chinois. On se souvient ainsi de l’argumentation de Bismarck défendant la profondeur de la « Kultur » allemande contre la légèreté de la « civilisation » française, argumentation qui déboucha sur le premier conflit mondial. À ceux qui s’interrogeraient – pourquoi s’intéresser à autre chose qu’à l’histoire de
l’art ? A quoi bon prendre le risque de sortir des musées et des bibliothèques ? –, nous répondrons avec une des élèves de Leys à l’université nationale d’Australie, Gloria Davis dans son ouvrage intitulé Worrying about China. The Language of Chinese Critical Inquiry [Harvard University Press, 2007] que « se soucier des problèmes qui empêchent la Chine d’atteindre la perfection, non seulement en qualité de nation mais aussi en qualité d’une civilisation résistant à l’épreuve du temps, est une marque de patriotisme que l’on rencontre fréquemment dans la production écrite des intellectuels chinois. »
Cette inquiétude, youhuan, constituerait un impératif catégorique qui gui- derait ainsi le lettré de la Chine classique mais aussi le spécialiste de la Chine du XXe siècle, et le pousserait en dehors de lui-même, tout comme Confucius, dans une période à la fois brutale et instable de l’Antiquité, a inlassablement pour- suivi l’idéal de trouver un souverain sensible à sa doctrine du bon ordre social. Selon Confucius, le lettré a le devoir de s’engager : « Un clerc qui tient à ses aises n’est pas digne du nom de clerc. » (Lunyu, XIV, 2) L’inquiétude fondamentale
du junzi confucéen que Leys a fait sienne est renforcée par sa double qualité d’étranger irréductible et de sinologue apte à déchiffrer les plus grandes com- plexités offertes par la Chine tant classique que contemporaine. Or, ce substrat classique devient aussi un refuge, et fait dire à Simon Leys à la suite de Victor Segalen, qu’« au fond ce n’est pas la Chine que je suis venu chercher ici, mais une vision de la Chine. Celle-là, je la tiens, et j’y mords à pleines dents. »
Cet immense amoureux de la Chine classique écrivait dans les premières pages de La forêt en feu : « En essayant de suggérer ce que la forêt d’avant l’incendie pouvait représenter pour ceux qui ont eu la chance de la fréquen-
ter, j’espère mieux faire comprendre au lecteur les raisons profondes de ce qui resterait sinon de lui paraître une agitation aussi vaine qu’obstinée. » Inquiet, il se demandait si la tradition chinoise ne serait pas une sorte de « bol de thé » qui, sous un nom ancien, vénérable et constant, en vient parfois à contenir toutes sortes de choses, et finalement n’importe quoi, sauf du thé. Quant à nous, nous regarderons désormais la trajectoire chinoise, si bien entrevue par ce sinologue versé dans les études classiques, de la même manière que l’écrivain de science- fiction Isaac Asimov envisageait la science : « la connaissance scientifique possède en quelque sorte des propriétés fractales : nous aurons beau accroître notre savoir, le reste – si infime soit-il – sera toujours aussi infiniment complexe que l’ensemble de départ », en nous
5. Mi Fu and the Classical Tradition of the Chinese Calligraphy, Lothar Ledderose, Princeton University Press, Princeton, 1979, 131 pages.
6. La Mauvaise herbe, LU Xun, trad. Pierre Ryckmans, UGE 10/18, Paris, 1975.
empressant toutefois d’ajouter que « si la connaissance peut sou- lever des problèmes, ce n’est pas par l’ignorance que nous pourrons les résoudre. »
蒂冈说,没有一本福音书会传达基督的话语。 李克曼的结论引导我们得出自己的结论:
“中国传统三千五百年来所表现出的生命力、几 乎无边际的蜕变和适应能力,也许来自这样一 个事实:这一传统从未允许自己陷入物之陷阱, 否则它将冒着僵化和消亡的危险。”这就勾勒出 了一种历时性:中国文化既坚不可摧又容易消 亡,既被毁灭,又是不朽。过去既是过去,又非 过去;既非过去,又永远是过去。
这种在游移不定的现实面前的盘旋,与鲁 迅《野草》中忧虑的呼应产生了共鸣 —— 李克 曼 1 9 7 5 年 将 之 译 成 法 文 :“ 我 常 觉 得 唯 ‘ 黑 暗 与 虚无’乃是‘实有’,却偏要向这些作绝望的抗 战”。“文化”还是“文明”,这场争论并不是中 国特有的。我们都记得俾斯麦捍卫德国“文化” 之深度,而反对法国“文明”之轻浮的论辞,这 一论点导致了第一次世界大战。有人可能会问, 为什么要关心艺术史之外的东西?为什么要冒 险离开博物馆和图书馆?我们可以用李克曼在 澳大利亚国立大学的一位学生格洛丽亚 · 戴维 斯的话作为回应,她在著作《忧虑中国:中国批 判性调查语言》(2007)中指出:“不仅以国家的 名义,也以一个经得起时间考验的文明的名义, 为那些阻碍中国达到完美的问题忧虑,是中国 知识分子著作中经常出现的爱国主义标志”。
这种“忧患”会形成一种不容置疑的迫切 需要,它不仅引导着古典中国的文人,也引导着 这位 20 世纪的中国研究专家,并将他推向自我 之外;正如孔子,他在一个既残暴又不稳定的古 代时期,孜孜不倦地寻求找到一个对他的“大同 社会”学说十分关心的君主。孔子认为文人应入 世,他说:“士而怀居,不足以为士矣”(《伦语》, 第14章,第2节)。李克曼将儒家君子的根本忧 患作为自己的忧患,而他作为一个不折不扣的 外国人,和一个能够解读古典和当代中国巨大 复杂性的汉学家,这种双重身份又强化了这种 忧患。然而,这一古典的基质也成了一个避难所, 李克曼继谢阁兰之后说:“归根结底,我来这里 寻找的不是中国,而是中国的视角。我已经得到 了它,我会紧紧咬住它。”
在《燃烧的森林》一书开篇,这位古典中国 的狂热爱好者写道:“通过试图暗示那些有机会 经常进入森林的人,火灾前的森林代表什么,我 希望更好地让读者理解那些在他看来无意义却 顽固的躁动的深层原因”。他忧心忡忡地想,中 国的传统难道不是一种“茶碗”吗 ?“茶碗”有 着一个古老、尊贵、恒定的名字,却会装入各种 各样的东西;总之,除了茶,它能装万物。而我 们,从现在起,将以科幻小说家艾萨克 · 阿西莫 夫看待科学的方式,看待这位精通古典研究的 汉学家所勾勒出的中国轨迹:“科学知识在某种 程度上具有分形特性:无论我们增加了多少知 识,其余的——无论它多么微小——将永远像 最初的整体一样无限复杂。”尽管如此,我们还 得急忙补充说:“如果知识可以提出问题,我们 不能借由无知解决它们。”